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Des projets qui s'accumulent, des deadlines intenables, un sentiment d'urgence permanent : depuis le confinement, le monde du travail semble être bloqué en mode «alerte enlèvement», au détriment de la santé mentale et physique de chacun. Alors que l'épuisement guette partout, il est urgent d'apprendre à dé-travailler.
Sur Sollicités. Chaque jour, une réunion imprévue, un email dont la réponse ne peut attendre le lendemain ou un dossier dont on hérite à la dernière minute, font irruption dans le quotidien déjà bien chargé des salariés, cadres supérieurs ou professions libérales. Et provoquent aussitôt une sensation de suffocation, un affolement du rythme cardiaque et une décharge d'adrénaline désormais familière.
Ces grains de sables s'ajoutent aux couches sédimentaires de projets à mener sur le long terme, de vision à développer ou de promotion à décrocher. Le tout, bien sûr, sans perdre une minute. La tendance à trop travailler - et à mesurer la productivité d'un salarié à son niveau de stress - semble être devenue la norme, affirme l'anthropologue James Suzman, auteur de Travailler, la grande affaire de l'humanité (1) : dans notre économie actuelle, explique-t-il, le travail, comme l'ambition, peuvent s'étendre à l'infini. On peut toujours faire mieux, ou plus, et viser plus haut, plus loin.
Sauf que cela laisse peu de place pour souffler, surtout depuis le début de la pandémie. Les confinements, le télétravail et aujourd'hui la reprise économique, menée tambour battant, ont, à coup sûr, aggravé le phénomène. "L'amplitude horaire et la charge de travail d'une majorité de salariés ont augmenté, et la moitié d'entre eux explique ne pas avoir de répit, explique le psychologue Christophe Nguyen, président du cabinet de conseil Empreinte Humaine. La fatigue ne s'est pas dissipée, malgré la sortie de crise." Bien au contraire : près de 2,5 millions de personnes sont actuellement en burn out, soit près de trois fois plus qu'en mai 2020, d'après le dernier baromètre d'Empreinte Humaine, paru en octobre 2021. Les managers, les moins de 39 ans et les femmes sont les plus sujets à l'épuisement et à la détresse psychologique.
La qualité du travail compte autant que le volume horaire
Les stratégies de résistance à l'urgence se multiplient. Les uns, surtout les moins de 30 ans, imposent un nouveau rapport de force à leur employeur pour retrouver le temps de vivre. D'autres quittent leur ville, se reconvertissent, s'offrent une pause dans leur carrière ou définissent de nouveaux rituels quotidiens, comme autant de digues. Beaucoup mènent une réflexion de fond, à l'instar de jeunes actifs parisiens, réunis à la rentrée pour réfléchir aux vertus du "détravail". Face à l'injonction à la performance constante, le ralentissement s'impose comme un nouvel horizon, bien plus fertile.
Reconnaître la surcharge de travail
Mais avant de rentrer dans une logique de rupture, un état des lieux s'impose. Pour distinguer une surcharge inutile et un coup de collier qui en vaut la peine, pour soi ou pour son entreprise. D'abord, leur impact sur notre santé, mentale comme physique. "Si on n'arrive pas à ne plus penser boulot le soir ou le week-end, c'est que notre travail déborde, soit en raison d'une surcharge, soit à cause d'une mauvaise organisation, souligne Christophe Nguyen. Même en faisant 35 heures par semaine, on peut être débordé par des projets et des deadlines qui se superposent, un manque de moyens pour atteindre ses objectifs, ou une accumulation de tâches inintéressantes qu'on ne choisit pas. Le volume horaire compte autant que la qualité du travail."
La priorité ? Prendre le temps de discuter
Avec ses chefs comme avec son manager. La tâche est à la fois plus complexe, et plus nécessaire encore, lorsqu'on est pris dans un régime d'urgence permanent. Face à la tentation de se sacrifier pour l'entreprise - "c'est important, tant pis, je resterai une heure de plus" - ou de s'en vouloir - "j'ai pris du retard, je travaillerai ce week-end pour le rattraper", Christophe Nguyen rappelle que son manager ne peut rien deviner tout seul. "Il n'y a rien de pire que de travailler tard le soir sur un dossier urgent, sans que nos efforts soient reconnus", souligne-t-il.
D'où l'importance d'échanger régulièrement son manager, mais aussi ses collègues, pour que chacun sache où en sont les autres, comment ils gèrent leur charge de travail et de quelle aide ils auraient besoin. Et ça n'est pas se plaindre ou passer pour un tire-au-flanc que d'ouvrir le débat. "L'essentiel est de garder un esprit collaboratif, sans animosité, et de proposer des solutions, poursuit le psychologue. On doit pouvoir discuter sereinement de la manière d'atteindre les objectifs, et s'accorder sur la répartition du travail, les règles pour prioriser les tâches, etc. Être le moteur de ces discussions est très ressourçant." Cela permet de reprendre la main, plutôt que de subir son travail, mais c'est aussi la seule clé pour sortir prendre de la hauteur et, peut-être, une nouvelle inspiration. Difficile, sans cela, de distinguer ce qui nous manque et nous tient à cœur de ce qu'on ne supporte plus.
Détravail sur mesure
Il y a mille façons de détravailler. On peut d'abord - surtout ? - demander à son manager de réévaluer les priorités régulièrement ou de nous décharger d'un dossier avant de nous en confier un autre. Mais aussi sanctuariser une heure ou un rituel quotidien, rien que pour soi, se promettre de sortir du bureau avant d'avoir épuisé toute son énergie ou poser ses RTT en avance pour s'éviter des tunnels de travail. Voire, comme le font certains, assumer son désir de ne travailler que quatre jours par semaine, quitte à sacrifier un peu de son salaire. En attendant de postuler dans ces entreprises pionnières qui ont adopté la semaine de 4 jours pour tous, preuve qu'un autre monde du travail est possible. Et bien plus séduisant.
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Date d'insertion: 30/07/2023
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